dimanche 26 janvier 2020, 08:30

Ruggeri : "C'est comme toucher le ciel du bout des doigts"

À l'occasion de l'anniversaire d'Oscar Ruggeri le 26 janvier, FIFA.com vous propose de retrouver l'interview que le défenseur argentin nous avait accordée il y a quelques années pour évoquer le sacre de l'Albiceleste lors de la Coupe du Monde de la FIFA, Mexique 1986.

Le défenseur central albiceleste a connu la gloire dans les rangs de Boca Juniors, de River Plate ou du Real Madrid. Mais comme il nous l'a confié, aucune émotion n'égale une victoire en Coupe du Monde de la FIFA.

Oscar Ruggeri, vous avez disputé trois phases finales de la Coupe du Monde de la FIFA. Que représente cette compétition dans votre carrière ?

Tout ce qu'il y a de plus important. J'ai disputé trois Coupes du Monde sous ce maillot, symbole d'une histoire prestigieuse. J'ai eu la chance de passer dans les rangs de River, de Boca et du Real Madrid, mais ça n'a rien à voir. Ce n'est pas comparable à ce que l'on ressent en défendant les couleurs de l'Argentine, en embarquant dans un avion dans le but de disputer une Coupe du Monde. Il n'y a rien de tel : la terre cesse de tourner, l'Argentine cesse de respirer, tout le monde retient son souffle en attendant de voir nos performances. Peu de gens travaillent pendant le match. Généralement, tout le monde arrête de travailler à cette heure-là, quel que soit le poste ou les responsabilités.

C'est le summum pour tous les footballeurs, c'est comme toucher le ciel du bout des doigts. Petit, on rêve toujours de jouer en première division, de devenir joueur professionnel. Mais on rêve aussi secrètement d'intégrer ce groupe, cette sélection. Sauf que nous sommes très peu à atteindre cet objectif. Malgré le prestigieux passé footballistique de l'Argentine, le pays ne compte aujourd'hui que 43 champions du monde. C'est fou, quand on pense au nombre de footballeurs qu'il y a dans ce pays, de se dire que seuls 43 peuvent dire qu'ils sont champions du monde. La Coupe du Monde a une importance énorme.

Si cette compétition n'existait pas, le football perdrait un peu sa raison d'être. Le seul objectif serait de terminer le championnat et une fois qu'il serait gagné ou perdu, il n'y aurait rien de plus. Je crois que nous jouons tous en gardant en tête l'idée de disputer un jour une Coupe du Monde avec la sélection.

Quel souvenir particulier gardez-vous de chacune des éditions de la compétition auxquelles vous avez participé ?

En 1986, nous nous entraînions depuis très jeunes avec le sélectionneur Carlos Bilardo. Ça a été très dur. Lorsqu'on a quitté le pays, personne n'est venu nous encourager hormis nos épouses et quelques proches et amis. C'est tout. Personne ne nous faisait confiance. Nous abordions pourtant la compétition avec espoir. Au fil de la compétition et des matches, nous avons réalisé qu'il y avait bien un risque d'échec, mais que nos adversaires devaient s'attendre à beaucoup souffrir pour nous battre. Ensuite, nous savions que nous allions disputer la finale, mais nous ne l'avons réalisé qu'une fois sur place. Nous étions la première équipe à arriver au Mexique, c'était aussi un avantage. La situation était idéale pour former le groupe et une équipe capable de remporter cette Coupe du Monde.

J'ai joué ma deuxième Coupe du Monde en Italie en 1990, sous la direction du même entraîneur. Nous avions déjà nos repères, nous le connaissions assez bien. Malgré tout, ça ne s'est pas passé comme l'édition précédente. Il faut dire que c'était autre chose d'aborder la compétition en tant que champions en titre. Nos adversaires nous montraient plus de respect. Mais sur le terrain, nous n'avons pas connu la même réussite qu'au Mexique. Notre jeu n'était pas aussi brillant ni aussi compact. Malgré tout, nous nous sommes qualifiés pour la finale. Nos supporters étaient très optimistes, malgré toutes les absences que comptait la sélection. Pendant toute notre campagne italienne, tous nos adversaires nous ont voué un grand respect. Nous savions que ce ne serait pas facile, mais nous pouvions compter sur Maradona, capable de plier le match d'une simple action, comme il l'a fait contre le Brésil avec une superbe passe décisive pour Caniggia. Ce jour-là, nous avons éliminé l'une des meilleures équipes de cette édition de la compétition.

Pour ma troisième Coupe du Monde en 1994, nous avions changé d'entraîneur et remporté la Copa América en déployant un excellent football. Le public était fou de cette équipe, plus optimiste que jamais. Mais nous avons dû faire face à plusieurs problèmes, notamment l'affaire de dopage de Maradona. Pour moi, l'Argentine était la meilleure équipe de cette édition. D'ailleurs, il suffit de regarder la finale pour constater que c'était un match assez terne, sans belle leçon de football. Au fur et à mesure des entraînements, nous commencions à nous imaginer en finale. Mais bon... On ne s'est pas remis de l'affaire de Diego. Ce sont les trois Coupes du Monde que j'ai eu la chance de vivre. En résumé, je peux dire que chaque seconde que j'ai vécue depuis que j'ai disputé ma première Coupe du Monde de la FIFA a été un instant de bonheur. C'est indescriptible, on ne vit ça dans aucun club du monde, même les plus grands.

Pour revenir à Mexique 1986, le match contre la République de Corée s'est révélé particulier pour vous. Quels souvenirs en gardez-vous ?

On avait fait une excellente préparation et l'équipe était extraordinaire. On jouait dur, mais bien. Et ça, personne ne s'en doutait. Le potentiel de l'Argentine était une véritable inconnue. Maradona s'était lui aussi très bien préparé. Tout l'effectif s'investissait vraiment dans cette compétition, titulaires comme remplaçants. A quelques jours de notre première sortie, contre la Corée, Passarella est tombé malade et il a fallu opérer un changement dans la ligne défensive. Il a été remplacé par Tata (José Luis) Brown, qui s'est d'ailleurs montré à la hauteur de la tâche. La même semaine, je me suis gravement blessé à la cheville. J'ai bien failli déclarer forfait mais je voulais absolument jouer, alors j'ai laissé les kinésithérapeutes faire leur travail. Le jour du match, j'étais sur le terrain. J'ai eu la chance de jouer sans problème et, à la demi-heure de jeu, j'ai inscrit mon premier but, pour mon premier match de Coupe du Monde !

Pourriez-vous nous le décrire ?

On a été victimes d'une faute sur le côté gauche. On avait beaucoup travaillé les coups de pied arrêtés étant donné qu'on avait des joueurs grands et habiles de la tête. Et puis c'était aussi une de nos armes pour plier un match, vous voyez. Comme on avait la chance d'avoir un spécialiste en la matière, il ne nous restait plus qu'à aller chercher le ballon dans les airs, en espérant que ça passerait. Si on a un bon tireur, peu importe d'où est exécuté le coup franc, le but suivra. Par contre, si on a de bons joueurs de tête mais pas de bon tireur, les choses sont plus compliqués. Contre la Corée, Maradona s'est chargé de décocher un centre du pied gauche que j'ai repris avec la tempe, en échappant au marquage d'un Coréen relativement grand. Il est difficile d'expliquer ce que j'ai ressenti en voyant la balle entrer dans le but : je ne savais pas si je devais courir ou pas. Je me souviens que j'ai couru jusqu'au banc et que tous les Argentins sont venus me serrer dans leurs bras, parce que c'était mon premier match, mon premier but. C'est ce dont on rêve toute la nuit précédant ses débuts en Coupe du Monde. Pour moi, le rêve est devenu réalité.

Quel match de cette édition vous a le plus marqué ?

Tous, je me souviens de tous. Mais si je devais en mentionner un en particulier, ce serait celui contre l'Angleterre. Cela ne faisait pas si longtemps que notre pays avait vécu des événements difficiles, avec la guerre des Malouines. A mesure que nous avancions dans la compétition, les gens ont commencé à nous soutenir. Tout le monde voulait gagner ce match. Mais nous ne sommes pas entrés sur le terrain en pensant à la guerre ; nous étions là pour jouer un match de football et pour le gagner pour notre pays. C'est mon souvenir le plus fort. C'était un match très dur mais, heureusement, nous avons gagné. Le score était très serré mais les deux buts de Maradona ont fait la différence. Deux véritables chefs d'œuvre ! Même nous, sur le terrain, nous n'avons pas vu le premier. Mais pour le deuxième, nous étions aux premières loges. Ce n'est qu'après que nous avons réalisé que le public célébrait la victoire avec ferveur. Les Argentins étaient fous de joie pour ce que nous leur avions donné, alors que ce n'était qu'un match de foot. Si seulement c'était comme ça que ça se passait dans le monde !

Quelle était l'ambiance dans le vestiaire après cette victoire ?

On avait l'impression d'avoir gagné une finale. Nous avions éliminé l'adversaire que nous voulions tous battre. Après ce match, nous savions que nous avions de grandes chances de remporter cette Coupe du Monde.

Saviez-vous, à ce moment, que vous seriez sacrés champions ?

Non. En revanche, nous savions depuis le début que nous serions de sérieux candidats au titre. Il y a eu un rassemblement de tous les joueurs et une fois qu'on a commencé à s'entraîner, à mieux connaître l'équipe, on a réalisé qu'on avait toutes nos chances. C'est vrai qu'après la victoire contre l'Angleterre, on a vraiment pris conscience d'être tout près du but.

Que pouvez-vous nous dire sur Carlos Bilardo, l'entraîneur ?

Bilardo est un entraîneur obsédé par le travail et la sélection. Pour lui, ce qui compte le plus c'est la sélection, le football et l'entraînement. La famille n'arrive que bien après. En tant que personne, c'était un homme très bon et calme. Mais dès qu'il entrait sur le terrain, il devenait fou, c'était difficile de le suivre. Le footballeur qui tenait à sa place au sein de la sélection devait suivre la cadence et supporter certaines choses qu'il n'aurait jamais supportées en club. Mais nous voulions coûte que coûte disputer la Coupe du Monde. Croyez-moi, ça a été un parcours du combattant pour aller au Mexique. Les joueurs qui vivaient à Buenos Aires, et nous étions nombreux dans ce cas, commençaient le travail à 7h30 à Ezeiza et terminaient à 22h00, avec le visionnage de vidéos à l'hôtel de las Américas. Du matin au soir, il ne pensait qu'à la sélection. A ce moment, on aurait tous été tentés de le prendre pour un fou. Mais grâce à ses méthodes, j'ai maintenant le bonheur d'être champion du monde.

Auriez-vous une petite anecdote sur lui à nous raconter ?

Plus d'une ! Par exemple, quand nous avons perdu notre entrée en matière contre le Cameroun en 1990, nous nous sommes rassemblés à l'hôtel, devant le tableau. Il n'écrivait pas, on aurait dit qu'il pleurait. Tout à coup, il s'est retourné pour nous dire : "Je vous assure que si c'est pour être éliminés comme ça, j'espère que notre avion de retour s'écrasera." Mais je pourrais vous en raconter des tonnes comme ça... Comme la fois où il nous a fait courir dans les couloirs de l'hôtel parce qu'on ne pouvait pas sortir s'entraîner. Les anecdotes sur lui ne manquent pas.

Quelle a été l'importance de Diego Maradona dans cette campagne ?

Maradona a été extrêmement important, pas seulement sur le terrain. On peut dire que cette Coupe du Monde était "sa" Coupe du Monde. Il s'était préparé pour la gagner, mais le plus important, c'est qu'il a toujours été considéré comme un élément du groupe. Il faisait partie de l'effectif, s'impliquait dans tous les problèmes qui se posaient. Cette attitude a indéniablement renforcé notre groupe.

Parlons de la finale contre la RFA. Comment avez-vous abordé ce match ?

Bilardo répétait toujours qu'une "sélection qui participe à une Coupe du Monde ne devrait jamais voir la finale à la télévision". Nous avions déjà réussi cela : nous n'étions pas devant le petit écran mais sur place, sur le terrain. C'était déjà un point très important. L'heure venue, nous sommes entrés dans cette finale avec calme et assurance. Nous savions que la terre allait s'arrêter de tourner pendant ce match, pas seulement pour les amateurs de football. Nous étions mentalement prêts. Chacun d'entre nous savait ce qu'il avait à faire sur le terrain. Nous n'étions pas là pour attendre de voir ce qui se passait. Chacun de nous connaissait précisément son rôle, sa fonction, et s'y est tenu à 100 %. Nous n'avons fait aucun cadeau.

Bien sûr, ça n'a pas été facile, malgré nos précautions. Nous avons commencé par mener sans grande difficulté, puis la situation s'est corsée. Mais même quand les Allemands ont égalisé, nous n'avons pas perdu notre calme, si bien que nous avons réussi à inscrire un autre but. En général, quand une équipe qui mène 2-0 perd son avantage, elle finit par perdre tout le match. Nous, nous étions forts. Il en fallait plus pour nous faire perdre.

Que ressent-on en entendant son hymne national dans un stade Azteca plein à craquer ?

C'est un grand moment de la finale et je peux vous assurer qu'on ressent quelque chose de très particulier à l'intérieur de soi. Déjà, dès le premier jour de la Coupe du Monde, lorsque l'hymne argentin passait, on ressentait quelque chose de différent de tout ce qu'on avait pu ressentir jusque là. Ça donne vraiment conscience de l'enjeu... Mais bon, on se sent aussi heureux d'avoir la chance de vivre un tel moment.

Vous avez remarqué qu'une équipe qui se fait remonter au score après avoir mené 2-0 finit souvent par perdre. Comment le public argentin aurait-il réagi à une défaite ?

C'est ce genre de question qui me pousse à dire à tous les joueurs qui ont la chance de participer à la Coupe du Monde qu'ils doivent la gagner. Quand je vais en Europe, on m'accueille partout comme un champion du monde. Pour tout le monde, je suis champion du monde 1986. On n'entend jamais dire qu'on est vice champion du monde. C'est quand on échoue en finale qu'on réalise vraiment que personne ne se souvient du malheureux finaliste. Quand on gagne, tout le monde se souvient de nous. Vivre cette situation, connaître cette joie d'être champion du monde est la plus belle chose qui puisse arriver dans une carrière sportive.

Vous souvenez-vous de ce qui vous est passé par la tête dans les dernières secondes du match ?

Je me suis mis à courir. Je n'étais pas loin de notre surface de réparation et je me souviens que l'arbitre cherchait à récupérer le ballon pour mettre fin au match. Il courait dans tous les sens et essayait de mettre la main sur le ballon pour pouvoir siffler. Les Allemands, eux, continuaient d'attaquer, de centrer... Enfin, l'arbitre a sifflé. A cet instant, je suis retourné au milieu de terrain et me suis élancé vers le banc. Je crois que Marcelo Trobbiani est la première personne que j'ai prise dans mes bras.

Qu'avez-vous ressenti en tenant pour la première fois le trophée dans vos mains ?

Quand nous sommes montés sur l'estrade, on nous a passé une médaille autour du cou puis Maradona a reçu la coupe. On voulait tous la prendre, c'était notre rêve. On s'était battu pour ça, comme l'avaient fait avant nous beaucoup de sélections, de joueurs et de nations... Puis on l'a portée à 22. Pour notre pays, c'était un véritable symbole. Notre réussite a donné beaucoup de joie à nos concitoyens. C'était un immense bonheur. C'est tellement difficile de trouver le mot juste pour définir ce sentiment ! C'est plus que de la joie ou du bonheur, oui, c'est plus que ça. Après avoir fait le tour du terrain, nous n'avons pas pu nous la passer tranquillement, il y avait trop de gens. Mais on a pu aller sur le terrain d'entraînement de l'América et là, on s'est tous serrés dans les bras avant de faire notre tour d'honneur.

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Et dans le vestiaire ?

Nous n'avons fait que crier et entonner des chants sur plusieurs journalistes qui avaient émis de vives critiques à notre encontre. Nous avons dédié quelques chansons à ces personnes, puis nous avons fêté notre victoire. Mais pas Bilardo. Il restait assis et semblait très triste. Quand on lui a demandé ce qui n'allait pas, il a répondu : "Ils ne peuvent pas marquer deux buts de la tête contre nous." C'est ça qui le chagrinait !

[ En prenant le trophée dans ses mains] Merci beaucoup de me faire revivre ce moment. Maintenant, je me souviens mieux : Maradona l'a prise et l'a fait passer, nous l'avons embrassée. Toutes ces émotions me donnent chaud, tout à coup. Regardez, j'en ai les mains moites. Quelle joie ! C'est formidable !

Que représente ce trophée dans votre vie ?

Il représente un événement incroyable. Cette coupe me donne envie de rechausser les crampons et de retourner sur la pelouse pour voir si j'arrive à la gagner une autre fois. Comme elle est belle ! Elle attend toujours sur une petite table... Je me rappelle qu'à chaque Coupe du Monde, c'est la première chose que l'on voit. Lorsqu'on nous la montre, on se dit : "Il y a tellement de joueurs, tellement de sélections !" Et puis ensuite c'est à notre tour de la brandir... Quelle émotion ! Quand on l'a perdue, en Italie, elle était là, sur la petite table, tout près... Et on l'a laissée nous échapper... Enfin bref, on a fait ce qu'on a pu...

Que ressentez-vous maintenant que vous avez de nouveau ce trophée entre les mains ?

Maintenant je peux le garder un peu plus longtemps, parce que Diego ne nous l'a pas beaucoup laissé. Il ne voulait pas le lâcher. Dans l'avion, il dormait même comme ça (il serre le trophée dans ses bras). Pour le reste, c'est ce que je vous ai dit. Quoi qu'il arrive, quoi qu'on dise, on se souviendra toujours des champions du monde. Le contraire est impossible, que ce soit à l'approche d'une Coupe du Monde ou au quotidien. On en parle toujours. Chaque fois que la sélection argentine joue un match amical, on se souvient des équipes de 1986 et de 1978. Rien ne pourra les effacer de l'histoire.

Je suis tellement heureux que mes enfants soient maintenant assez grands pour en prendre la mesure... Je n'avais pas d'enfants quand j'ai remporté Mexique 1986 et ils découvrent tout cela à travers les livres, la télévision, ce genre de choses. Pour eux aussi c'est une grande joie. Ils sont heureux lorsque les autres enfants leur posent des questions. Et lorsque les enfants ne sont pas au courant, ils voient bien que leurs parents leur en parlent : "Le petit qui est avec toi à l'école, son père a été champion du monde." Alors ils viennent me poser des questions : "On m'a dit ça... et ça...", mais que des choses bien. Les gens en gardent de bons souvenirs, parce que nous avons bien joué et que nous leur avons offert du grand spectacle. Nous voulions gagner la coupe et nous l'avons gagnée. Ça change tout.

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Qu'est-ce qui vous attendait à votre retour en Argentine ?

Quand nous sommes arrivés, nous avons fait plusieurs tours sur l'autoroute de l'aéroport. Nous ne pouvions pas en croire nos yeux. Il y avait une foule de personnes, depuis l'aéroport jusqu'au siège du gouvernement. Toute l'Argentine devait être descendue dans la rue. Nous avons eu énormément de mal à rejoindre la Casa Rosada. Il y avait même des gens qui pleuraient. Les personnes âgées, les enfants, tout le monde, tout le pays était heureux... On aurait pu croire qu'on l'avait sauvé de je ne sais quoi !

Un gros changement par rapport à la situation au moment de votre départ au Mexique...

Tout le monde est descendu dans la rue pour nous accueillir. De toute façon, je ne reproche à personne de ne pas nous avoir soutenu à notre départ. Ça s'est passé ainsi parce que nous ne dégagions rien de particulier sur le terrain. Mais nous avons inversé la situation, ce qui est souvent difficile dans le football. Nous avons changé l'opinion de beaucoup de gens et celle de certains journalistes qui critiquaient la philosophie de Bilardo. Eux aussi ont dû reconnaître qu'on a bien joué au football et qu'on a mérité cette coupe.

Que représente cette finale dans l'ensemble de votre carrière ?

Tout au long de ma carrière, les finales ont toujours été les moments les plus importants. Mais il ne faut pas oublier que pour arriver à une finale, un joueur passe par toute une série d'instants importants. Des tas d'événements ont dû se produire pour que je joue un jour une finale de Coupe du Monde. Je dois remercier les équipes et les clubs, ce sont eux qui m'ont formé et permis de disputer ce match.

Selon vous, qu'arriverait-il si vous sortiez vous promener au beau milieu de Buenos Aires, le trophée sous le bras ?

Ça en étonnerait plus d'un ! Certains penseraient qu'il est en or, alors nous serions obligés de courir (rires). Plus sérieusement, les gens me saluent dans la rue, même sans trophée. Alors, si je sortais avec lui sous le bras, il y aurait sûrement des personnes qui me prendraient pour un fou, mais beaucoup d'autres voudraient le toucher, le prendre.

Et aussi la coupe que vous avez perdue en Italie... Quel souvenir gardez-vous de cette sélection allemande ?

Même si les Allemands jouaient mieux que nous lors de cette Coupe du Monde, ils nous ont montré un très grand respect en finale. Cela dit, il est vrai qu'avec Caniggia et Giusti suspendus et Diego (Maradona), Burru (Burruchaga) et moi-même sous infiltration, il leur a quand même fallu un penalty pour l'emporter. Mais le respect était réciproque. On entend parfois dire que les Allemands ne pratiquent pas un football séduisant, mais il faut reconnaître qu'ils ne s'arrêtent jamais. A 30 secondes du coup de sifflet final, ils continuent encore, comme si c'était le début du match. Il faut toujours se méfier des sélections allemandes.

La soirée de la finale de 1990 a-t-elle été la plus triste de votre carrière ?

Oui. Il faut dire qu'au début de notre campagne en Italie, on ne jouait pas bien. On se disait : "Bon, si on réussit le prochain match, ça s'arrangera." Mais on était moins convaincus de pouvoir gagner qu'en 1986. Et puis, au fil des matches, on a éliminé de grandes équipes, comme le Brésil, et on a disputé notre plus beau match en demi-finale, contre l'Italie. Une fois les hôtes hors course, on a tendance à arriver en finale en se disant : "Maintenant, c'est quitte ou double." On finit par y croire. Mais si on nous avait dit que nous allions jouer la finale et la perdre au début de notre campagne, je ne sais pas ce que nous aurions répondu.

Nous étions tous blessés, fatigués. Nous n'étions pas dans de bonnes conditions, mais lorsqu'on se change pour disputer la finale, on pense : "Pas question de la perdre !" On veut la gagner ! Et puis on entre sur le terrain et on voit la coupe présentée au public autour du stade, si près... Une fois qu'on est arrivés à ce stade, ça fait mal de perdre. Quand on nous la prend pour la donner à une autre équipe qui fait son tour d'honneur, c'est une immense douleur.