vendredi 03 juillet 2020, 11:09

Groenen : "Je n’ai pas l’habitude d’être l’héroïne"

  • Il y a un an, Jackie Groenen faisait basculer la demi-finale de France 2019

  • Elle revient sur ce moment et sur l’ambiance du tournoi

  • Elle évoque également Johan Cruyff et les Jeux Olympiques

Fils d'un ancien joueur de Willem II, et lui-même ancien joueur dans les divisions inférieures du football néerlandais, Jack Groenen continue à vivre sa passion pour le football à travers ses filles Merel et Jackie. À force d’admirer son père balle au pied, Merel formule le souhait de devenir un jour footballeuse ; Jackie, alors âgée de trois ans, ne tarde pas à imiter sa grande sœur.

Jack décide alors de quitter son travail pour se consacrer à ses filles. Elles regardent régulièrement des vidéos de Johan Cruyff et Dennis Bergkamp. Toute la famille vit en Belgique, mais Jack parcourt des kilomètres en voiture pour conduire ses filles aux matches. Et lorsque la pluie s’en mêle, il n’hésite pas à construire un terrain de six mètres sur cinq à l’intérieur de la maison familiale...

Les efforts de Jack ont-ils été payants ? Merel est devenue footballeuse professionnelle. Jackie a fait encore mieux. "J’étais sûr que Jackie serait championne olympique en 2016", confie le père de famille. Jackie a effectivement participé à un match décisif dans la course à la qualification pour le Tournoi Olympique de Football féminin, Rio 2016, mais c'est la Suède qui a décroché le billet pour le Brésil.

Ce que Jack ne dit pas, c’est qu'il n’imaginait pas sa fille briller sur la pelouse du Maracanã, mais sur les tatamis. Et pour cause : Jackie Groenen compte cinq titres de championne des Pays-Bas de judo et a longtemps fait partie des grands espoirs de la discipline en Europe. Elle a pourtant fini par troquer son kimono contre des crampons. Aujourd'hui, tous les espoirs lui sont permis dans les qualifications pour Tokyo 2020.

Un an jour pour jour après un but splendide qui a ouvert les portes de la finale de la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, France 2019™ aux Pays-Bas, FIFA.com s’est entretenu avec l'internationale néerlandaise.

Jackie, vous avez dû choisir à un moment donné entre une carrière de footballeuse ou de judoka. La décision a-t-elle été facile à prendre ?

J’ai toujours plus ou moins su que, si l’opportunité se présentait, je choisirais le football. J’ai grandi avec un ballon et le football fait vraiment partie de notre culture familiale, contrairement au judo. J’ai commencé à jouer quand j’avais quatre ans. Le judo était un simple loisir qui a pris de plus en plus d’importance. Pourtant, le choix n’a pas été facile car je travaillais avec le même entraîneur depuis l’âge de six ans. Nous étions ensemble dix à 12 fois par semaine. Ça se passait bien, nous avons gagné beaucoup de titres et nous étions en passe de nous qualifier pour les Jeux Olympiques. Quand j’ai dû lui annoncer ma décision, j’avais vraiment l’impression de le décevoir. Mais au fond de moi, j’ai toujours su que le football aurait ma préférence.

Quelles sont les différences et les similitudes, en termes d’état d’esprit, entre une judoka et une footballeuse ?

Je trouve que le judo est beaucoup plus éprouvant pour les nerfs. C’est une discipline individuelle et il faut donc tout faire soi-même. Quand le combat débute, on sait que la moindre erreur peut mettre fin au tournoi. En football, on bénéficie du soutien de ses coéquipières et les matches sont plus longs. Même mené 2-0, on peut encore revenir. Le judo était nettement plus stressant. À chaque fois que je combattais, mes parents me trouvaient nerveuse. En revanche, le judo m’a aidée à mieux appréhender les grandes affiches de la Coupe du Monde ou de l’Euro. J’ai appris à gérer la pression.

Parlons de la Coupe du Monde Féminine, justement. Que vous a dit Sarina Wiegman avant la prolongation contre la Suède ?

Elle nous a dit de rester calmes car nous avions le match en main. La première mi-temps avait été plus difficile car les Suédoises avaient le dessus. Mais depuis le retour des vestiaires, nous avions pris l’ascendant. Dans les dernières minutes, nous avions le sentiment de pouvoir marquer. Nous avions plus de jus au moment d’entamer la prolongation. Elle nous a dit de nous détendre, de continuer comme ça et que ce but allait venir. C’est tout ce dont je me souviens car, pour être franche, j’étais un peu stressée.

Lors de la domination suédoise en première-mi-temps, qu'avez-vous pensé de la performance de votre gardienne Sari van Veenendaal ?

Elle a été fantastique. Elle n’a pratiquement commis aucune erreur de tout le tournoi. À plusieurs occasions, c’est elle qui nous a sauvées. Elle a largement contribué à notre bon parcours, notamment lors de cette demi-finale. Les Suédoises ont eu deux ou trois grosses occasions en première mi-temps, mais elle a répondu présent à chaque fois.

Vous n’aviez marqué que deux buts en plus de 50 sélections. À quoi avez-vous pensé en recevant le ballon si loin du but ?

Je n’avais pas vraiment en tête de tenter ma chance. C’est arrivé un peu par hasard. Le plus drôle, c’est que j’ai su tout de suite que le ballon allait finir au fond des filets. Je ne me souviens pas de l’avoir vu rentrer, mais je savais ce qui allait se passer. Pourtant, les tirs de loin ne font pas vraiment partie de mes points forts ! Je ne marque pas souvent. Je tiens un rôle différent en sélection. J’avais tout de même un peu travaillé là-dessus avant la Coupe du Monde. On peut dire que j’ai bien choisi mon moment !

Qu’avez-vous ressenti ?

C’était incroyable. Avec ma famille, nous avons vécu quelque chose de très fort ce jour-là. Le stade, l’ambiance... C’est un peu égoïste, mais j’espérais que personne d’autre ne marquerait ! (rires) Nous avons tellement de joueuses capables de faire la différence. Je n’ai pas l’habitude d’être l’héroïne, alors j’avais envie que le score n’évolue plus.

Quel souvenir gardez-vous de la finale ?

C’était un match compliqué. L’ouverture du score américaine nous a fait beaucoup de mal. Nous avions laissé énormément de forces dans les batailles précédentes. Nous avons souvent dû puiser dans nos réserves pour gagner et en demi-finale, nous étions passées par la prolongation. Et nous avions eu un jour de moins pour récupérer. Quand les Américaines ont marqué, toute cette fatigue accumulée s’est abattue sur nous. D’ordinaire, quand une équipe nous met un but, nous nous disons : "Ce n’est pas grave, on en marquera deux". Mais les efforts consentis depuis le début du tournoi ont brisé notre élan.

Qu’avez-vous pensé de l’ambiance de cette Coupe du Monde Féminine ?

C’était de la folie. C’était particulièrement vrai dans notre cas. Nous avions beaucoup de supporters, surtout durant les premiers matches. Nous n’étions souvent qu’à deux ou trois heures de voiture des Pays-Bas et nos fans sont de vrais passionnés. Nous avions l’impression de jouer à domicile. Les affiches sont devenues plus importantes, les stades plus grands, mais l’ambiance n’en a jamais souffert. Je m’en souviendrai toute ma vie.

À Tokyo, une médaille olympique peut-elle vous satisfaire ou, après France 2019, êtes-vous uniquement en quête de titres ?

Nous ne sommes pas du genre à nous enflammer. Quand nous participons à une compétition, c’est pour donner le meilleur de nous-mêmes, en espérant aller le plus loin possible. Nous restons sur une victoire à l’EURO et une finale de Coupe du Monde. Nous visons logiquement une place sur le podium. Une fois qu’on a gagné un tournoi, on en veut forcément plus. Nous irons aux Jeux Olympiques pour montrer ce que nous savons faire, mais aussi pour gagner.

Les Pays-Bas peuvent-ils rivaliser avec les favorites américaines ou l’écart est-il trop important ?

Mais nous avons beaucoup progressé ces dernières années et je pense que nous pouvons faire jeu égal avec les États-Unis. Notre force réside dans notre diversité : nous avons des profils très différents, qui se complètent bien. Nous aussi, nous sommes très fortes.

Parlons de votre parcours en club. On peut voir une photo de vous enfant, avec un maillot de Manchester United. Qu’avez-vous ressenti, en signant là-bas ?

J’étais supportrice de Manchester quand j’étais plus jeune. Ma mère est souvent en déplacement à l’étranger, pour son travail. Quand nous étions plus jeunes, lorsqu’elle s’absentait, elle devait ramener un maillot de la ville où elle s’était rendue. Manchester United était le premier. J’ai toujours adoré ce maillot. Je le portais toute la journée. Quand j'y ai signé, j'ai réalisé mon rêve. J’ai suivi cette équipe dès sa création, en 2018, mais j’étais sous contrat à Francfort et je ne pouvais pas trop bouger. Quand les dirigeants m'ont contactée, le choix a été vite fait.

Quel bilan tirez-vous de cette première saison ?

Sur le terrain, mon meilleur souvenir reste notre succès face à Manchester City. C’était un match important. Manchester United est un club ambitieux, mais nous sommes satisfaites de notre quatrième place pour notre première saison en Women’s Super League. Nous sommes sur la bonne voie. Si nous évitons de perdre des points bêtement, nous ferons encore mieux la saison prochaine. Nous viserons bientôt la première place.

Vous êtes néerlandaise et vous portez le numéro 14. Est-ce un référence à Johan Cruyff ?

Je regardais souvent des matches avec mon père et mon grand-père et ils adoraient tous les deux Cruyff. Très jeune, j’ai vu beaucoup de vidéos de lui. Je regardais aussi ses interviews et mon père m’a donné des livres sur lui. C’est quelqu’un que j’admire. Quand j’ai signé mon premier contrat en Allemagne, j’ai choisi le numéro 14 et je n’en ai jamais changé depuis.