jeudi 30 janvier 2020, 01:13

Herdman, super-héros chez les Canucks

  • John Herdman évoque la victoire inattendue sur les États-Unis

  • Le sélectionneur du Canada vise une qualification pour Qatar 2022

  • Il rend hommage à Alphonso Davies

La dernière victoire du Canada sur les États-Unis datait de 1985. Cela permet de mesurer l’ampleur de la victoire (2-0) des Canucks en Ligue des Nations de la CONCACAF en octobre dernier. L’homme à l’origine de cet exploit était pourtant considéré comme un fou, 20 mois auparavant.

Réputé pour travailler 15 heures par jour, John Herdman a passé sept années à faire de l’équipe féminine une formation capable de remporter deux médailles de bronze olympiques consécutives. Herdman a ensuite décidé de passer la main pour prendre les commandes de la sélection masculine qui, elle, ne s’est plus qualifiée pour une phase finale de Coupe du Monde de la FIFA™ depuis sa seule apparition, à Mexique 1986.

Deux ans plus tard, le technicien a remporté 75% de ses 16 matches (aucun autre sélectionneur canadien n’a dépassé les 50%). FIFA.com l'a rencontré pour évoquer cette performance contre les Stars and Stripes, ses espoirs de qualification pour Qatar 2022, Alphonso Davies et le parcours du Canada la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, France 2019.

John, que retenez-vous de la victoire historique du Canada face aux États-Unis ?

C’était une expérience incroyable pour les entraîneurs, les joueurs et les supporters. Je me rappelle avoir regardé une vidéo dans laquelle on voit les joueurs battre du tambour et taper dans leurs mains avec le public, à la manière des Islandais. En observant les visages des supporters, on constate qu’eux-mêmes ont encore du mal à y croire ! Ce soir-là, mon équipe a montré toute l’étendue de son potentiel.

Comment était l’ambiance dans le vestiaire ?

En général, je ne rentre pas. Je préfère laisser les joueurs entre eux. Mais lorsque nous sommes de retour à l’hôtel, nous organisons toujours quelque chose pour les nouveaux venus en sélection. Cette fois, Liam Fraser a fait ses premiers pas en équipe nationale à 21 ans, dans le stade qu’il fréquente habituellement avec son club. En championnat, il n’avait pas beaucoup de temps de jeu. Là, il est entré à la neuvième minute et s’est retrouvé face au type qui lui a pris sa place à Toronto, Michael Bradley, dans un match à quitte ou double pour le Canada. Il a pris le dessus sur son adversaire direct et nous avons gagné. C’est ce qui fait la magie du football. Après le match, j’ai reçu pas mal de bière sur la tête...

Qu’est-ce que ce résultat peut changer pour le football canadien ?

Pour commencer, il nous a permis de capter l’attention de gens qui ne s’intéressent qu’occasionnellement au football. Pour nous, c’était un peu différent. Trois semaines plus tard, nous sommes allés aux États-Unis et nous avons perdu. Nous avions l’impression d’avoir fait un pas de géant, surtout au niveau de la confiance, puis tout a disparu d’un coup. Nous avons vu la qualification pour les demi-finales nous passer sous le nez. Mais, pendant trois semaines, le grand public s’est intéressé à nous. Cette équipe a su faire parler d’elle. Après le match, j’ai vu les présentateurs d’une émission sportive au milieu d’une marée de supporters dans une station de métro. Tout le monde chantait "O Canada", l’hymne national. C’était émouvant. Notre équipe est portée par toute cette énergie. Voilà le genre de trace que je veux laisser. Parfois, le temps d’un exploit, tout un pays retient son souffle. Pendant la Coupe du Monde, on voit des gens avec des maillots de la Grèce, du Portugal, de l’Italie, de l’Angleterre ou de l’Allemagne. Moi, j’ai envie de voir des gens porter des maillots du Canada. C’est la raison pour laquelle j’ai été très touché en découvrant ces images. Ça prouve que nous ne sommes pas loin d’avoir atteint notre but. Mais l’essentiel reste de nous qualifier pour la Coupe du Monde. Si nous y parvenons, nous aurons transformé à jamais le paysage sportif dans ce pays. Nous pouvons unir le Canada.

Le Canada n’a plus atteint le tour final des qualifications de la CONCACAF depuis la compétition préliminaire pour France 1998. À l’époque, il avait fini dernier. Pouvez-vous vraiment être du voyage au Qatar ?

Les qualifications sont très difficiles. Si certaines équipes européennes étaient amenées à jouer dans les environnements que nous connaissons, elles souffriraient énormément. En 2018, la sélection américaine "valait" plus de 200 millions de dollars. Ça vous donne une idée de sa puissance de feu. À chaque déplacement, il faut faire face à la passion, à l’ambition et à la fierté de tout un peuple. L’accueil n’est pas toujours très chaleureux. Et les terrains ne ressemblent pas vraiment à ceux que foule Alphonso Davies en Bundesliga, avec le Bayern Munich. Les tacles volent bas. Mais je suis un éternel optimiste. Nous allons tout faire pour atteindre le tour Hexagonal. Si nous y croyons et que nous continuons à nous battre, nous finirons par y arriver.

Davies a été titularisé 15 fois de suite au Bayern. Vous attendiez-vous à le voir s’imposer aussi rapidement ?

Mentalement, il possède une force extraordinaire. C’est un garçon simple, qui dégage une énergie très positive. Sa mère a eu une forte influence sur sa carrière. La famille joue un rôle important dans sa vie. Il n’a peur de rien. Il profite de la vie et il essaye de transposer cette attitude sur le terrain. Il possède une créativité naturelle. Il n’est pas du genre à se cacher. Il aime danser, chanter. Il n’a pas peur de montrer qui il est vraiment, y compris sur un terrain. Il a déjà prouvé qu’il faisait partie des plus grands espoirs de la planète. Pour être titulaire au Bayern Munich, il faut faire partie des meilleurs joueurs du monde. Il n’a que 19 ans et il joue en Ligue des champions. Quelle belle histoire pour le football canadien !

Qu’avez-vous ressenti en voyant les performances du Canada pendant France 2019 ?

C’était émouvant. Ces joueuses ont investi sept années de leur vie dans notre projet. Dans la réussite comme dans l’échec, on noue des relations extrêmement fortes. On travaillait quotidiennement. Ce que nous faisions n’avait rien à voir avec les autres sélections.J’aurais voulu être là. J’y étais en pensée mais, malheureusement, je n’ai pas pu faire le déplacement à cause de la Gold Cup.