Ufarte-Aragonés, paire la Victoire

Toujours ensemble. Comme sur la photo. Comme il y a encore quelques années, quand ils se cherchaient constamment sur le terrain. Luis Aragonés, milieu de terrain capable de s’inviter dans la surface adverse, et José Armando Ufarte, ailier rapide et technique, ont affolé tous les défenseurs espagnols dans les années 1970. Plus tard, ils ont été le sélectionneur et l’adjoint qui ont changé à jamais l’histoire de la Roja avec le sacre à l’UEFA EURO 2008.

"J’ai mis une seule condition. Je lui ai dit : ‘Je vais avec grand plaisir avec toi en équipe nationale, mais je vais te dire tout ce que je pense. Ensuite, ce sera à toi de décider. Si tu vas dans mon sens, tant mieux. Et si tu vas dans le sens contraire, je te soutiendrai à mort quand même, mais d’abord, je veux que tu m’écoutes". Aragonés en a rigolé avant d’accepter la condition de son ami. Ufarte sourit encore aujourd’hui à l’évocation de ce souvenir.

Nous sommes en juillet 2004 et l’Espagne vient de dire adieu à l’EURO portugais dès le premier tour. Le sage de Hortaleza se voit proposer le poste de sélectionneur et il a souhaité se reposer sur son vieux camarade, qui dirige depuis sept ans les équipes nationales de jeunes et qui a remporté deux titres européens et un mondial avec les U-20. Il a déjà eu entre ses mains les Iker Casillas, Sergio Ramos, Cesc Fábregas… ou Andrés Iniesta, à qui il avait demandé après ses débuts, à 15 ans, de travailler davantage son physique que la technique, où il était déjà largement au-dessus de la moyenne.

Ce 13 juin, face à la République tchèque, l’Espagne entamera la conquête d’une troisième couronne européenne consécutive. FIFA.com a souhaité en savoir plus sur la genèse du tenant du titre, qui compte bien redorer son blason après une Coupe du Monde 2014 ratée. Ufarte nous révèle ses secrets. "Luis était un garçon au caractère affirmé et on avait une idée très claire de la façon dont l’équipe devait jouer. On a insisté et ça a bien marché", commence-t-il.

Huit ans plus tard, personne n’a oublié l’image de Casillas brandissant le trophée dans le ciel de Vienne et tout ce qui a suivi. Mais le chemin a été long et souvent difficile. "Au départ, les résultats n’étaient pas aussi bons qu’on l’espérait et on a beaucoup critiqué notre idée du football. Mais on a peu à peu modelé l’effectif. Ça a été long mais on a fini par trouver le chemin". Battus en huitièmes de finale de la Coupe du Monde de la FIFA, Allemagne 2006, Aragonés et Ufarte ont alors décidé de se passer de plusieurs titulaires indéboulonnables, notamment Raúl González. "Un footballeur est bon ou très bon en fonction de quelques dixièmes de seconde qu’il perd avec le temps. Ça nous arrive à tous", confie-t-il, entre amusé et résigné. "Il y avait des jeunes qui poussaient et c’est pour ça qu’on a décidé de se passer de lui, mais c’était davantage une question d’âge que de qualité".

Une question de confiance Le débat avait été virulent. Mais les deux compères ont su tenir et assembler toutes les pièces du puzzle pour le mois de juin 2008. "Après le deuxième match, contre la Suède (remporté 2:1 par l’Espagne), j’ai compris que l’équipe tournait bien et qu’on pouvait nourrir des espoirs. Ensuite, on a eu un match très difficile contre l’Italie en quart… Et là, j’ai su qu’on pouvait rivaliser avec n’importe quelle équipe".

Contre les Azzurri champions du monde en titre, il a fallu en passer par les tirs au but. Casillas a alors endossé le costume de héros, et c’est un gamin de 21 ans qui n’avait plus frappé un penalty depuis les minimes qui allait envoyer les Italiens à la maison… Deux gamins d’Ufarte, puisque sur les 23 qui formaient cette équipe, ils étaient 13 à avoir joué sous sa houlette. “Dans les entraînements, on travaillait les penalties, Luis avec les titulaires et moi avec les remplaçants, et ensuite je lui disais qui avait bien frappé. Et Cesc Fabregas en faisait partie. Dès la fin de la prolongation, on avait en tête notre liste".

Viendrait ensuite la demi-finale contre la Russie (3:1), peut-être le meilleur match de la Roja depuis le début de la compétition, même si quelque chose déplaisait à Aragonés, connu pour ses superstitions. "Il n’aimait pas le jaune", reconnaît Ufarte dans un éclat de rire. "S’il avait pu choisir, ils n’auraient jamais joué avec ce maillot, mais curieusement, c’était un match plutôt facile". Beaucoup plus que la finale, contre l’Allemagne, qui s’est décidée grâce à un but de Fernando Torres, comme cela avait été le cas lors de l’EURO U-15 de 2001. "Quand l’arbitre a sifflé la fin du match, on est tombés dans les bras l’un de l’autre avec Luis et on s’est assis sur le banc. C’était une joie immense, quelque chose que l’on espérait tant".

Luis pour motiver, Xavi pour briller Malgré la victoire, après l’EURO, Aragonés et Ufarte ont été remplacés par Vicente del Bosque, qui a poursuivi la récolte. "La vie n’est pas toujours juste", dit-il en relevant les épaules. Aujourd’hui, son ami décédé en 2014 lui manque énormément. Il se souvient notamment de sa capacité à motiver. "Il était très malin, il connaissait bien le football et il savait pousser ses joueurs. Sa grande qualité, c’était de savoir les mettre en confiance. C’est lui qui les a persuadés qu’on allait être champions". Aragonés avait l’habitude de parler individuellement avec certains joueurs, notamment Xavi Hernández. "Il était fondamental. C’était le relais de Luis sur le terrain. Un garçon exceptionnel qui avait toutes les qualités pour faire jouer l’équipe autour de lui."

En France, pour la première fois en 12 ans, l’Espagne affrontera une grande compétition sans son milieu de terrain. De fait, seuls cinq vétérans de l’EURO 2008 sont toujours dans l’équipe : Casillas, Ramos, Iniesta, David Silva et Fabregas. Et les résultats de la Coupe du Monde brésilienne ont soulevé des doutes quant à la capacité de cette équipe à viser les premières marches du podium. "C’est difficile de remplacer Xavi, bien évidemment, mais je pense qu’il reste de bons joueurs et que l’on peut réussir un bon tournoi", estime l'ancien adjoint. "Si on y met un peu d’humilité et de travail, l’Espagne peut même aller au bout. Je vois trois favoris : l’Espagne, l’Allemagne et la France."

A 75 ans, Ufarte n’ira pas en France, mais il encouragera la Roja depuis son domicile en espérant que ses gamins rééditent l’exploit de 2008. Celui où l’Espagne a entamé une nouvelle ère sous la houlette de son copain Luis Aragonés.