jeudi 07 janvier 2016, 08:02

Trois hommes et un destin

Parfois, on se croirait à l’opéra. Un, deux trois. Le ballon traverse le terrain à un rythme emballant. Quatre, cinq, six. Les joueurs se déplacent en parfaite synchronie. Sept, huit, neuf... Malmené, ballotté, l’adversaire poursuit des ombres aux quatre coins du terrain sans comprendre ce qui lui arrive. Jusqu’à ce qu’il soit trop tard… Les filets tremblent, le ballon est au fond. Le tableau d’affichage évolue. Encore et encore.

Nous ne parlons pas ici d’une équipe en particulier, mais d’une philosophie associant beau jeu et efficacité. Mais des images de trois formations vous viennent peut-être à l’esprit. C’est en effet le football que prônent des techniciens comme Luis Enrique, Josep Guardiola ou Jorge Sampaoli, les trois finalistes du prix à l’Entraîneur de l’année FIFA pour le football masculin 2015.

Quel est le secret de leur succès ? Qu’est-ce qui les différencie ? Pour répondre à ces questions, FIFA.coms’est rapproché de Juan Manuel Lillo, l’un des pionniers de ce style de jeu, qui a également pour lui de bien connaître les trois impétrants. "Ils arpentent des chemins parallèles", précise l’entraîneur en prélude à son analyse.

Vieilles et nouvelles connaissances Nous sommes en 1996. Le FC Barcelone rend visite au modeste Oviedo dans le stade Carlos Tartiere. Ce qui s’annonçait comme une promenade de santé se mue en un immense choc que les Catalans finissent par gagner 4:2 à force de courage et de détermination. Cependant, l’adversaire a été si hardi que Pep Guardiola, milieu de terrain culé à l’époque, s’invite dans les vestiaires locaux pour faire connaissance avec ce technicien qui avait décidé d’affronter l’ogre catalan d’égal à égal. Cet homme n’est autre que Juan Manuel Lillo et de cette rencontre va naître une amitié qui révolutionnera le monde du football.

"Il y a énormément d’affection entre Pep et moi. Quand je vois ce qu’il est devenu, je suis extrêmement fier pour lui", déclare l’ancien coach de la Real Sociedad, des Millonarios (Colombie) ou des Dorados de Sinaloa (Mexique). "Il a dirigé de grands joueurs, tant au Barça qu’au Bayern Munich, mais la structure et l’organisation du jeu qu’il met en place permettent de décupler leurs atouts et leurs échanges. Grâce à lui, les très bons sont devenus encore meilleurs".

Mais un autre candidat au prix était ce jour-là sur la pelouse du Tartiere : Luis Enrique, qui signera un doublé. "Je connais moins Lucho, reconnaît Lillo, mais je suis son travail et j’apprécie ce qu’il fait à Barcelone, où il contrôle peut-être un peu moins les matches mais où il sait comment faire basculer le score. Parfois, il fait même le choix de couper le lien entre le bloc-équipe et les trois attaquants, parce qu’il sait que son milieu de terrain, avec Andrés Iniesta à la baguette, leur permettra forcément de créer des situations de but. Ils sont efficaces dans le jeu mais encore plus dans le résultat".

Pour trouver le lien avec Jorge Sampaoli, rien ne sert de remonter aussi loin. En fait, depuis le mois de septembre dernier, Lillo fait partie du staff du sélectionneur sacré à la Copa América 2015 avec le Chili. "Ce qu’il sait très bien faire, c’est profiter au maximum des entraînements avec ses joueurs, qu’il ne peut évidemment pas voir tous les jours. Le travail de préparation est énorme et il parvient à transmettre les clés du prochain match à ses joueurs dans un délai très court".

Philosophie commune Voilà qui a le mérite de déterminer les points forts de chacun des candidats au prix d’Entraîneur de l’année FIFA pour le football masculin 2015. Mais à quoi faisait allusion Lillo quand il estimait que les chemins étaient similaires ? "Il y a un patron commun. Tous les trois aiment que leurs équipes jouent à terre et pas en l’air. Tous les considèrent que la possession et le jeu dans un petit périmètre permettent de conserver un équilibre et une stabilité qui contribuent à faire en sorte que les matches se déroulent conformément aux souhaits".

En revanche, si de nombreux titres sont venus garnir le palmarès de ce trio, ils ne constituent pas forcément pour Lillo l’apport le plus marquant de ces techniciens au monde du football en 2015. Qu’importent les Ligues de Champions, les Coupes du Monde des Clubs de la FIFA ou les Copas América ! Pour lui, c’est la façon d’y arriver qui prime.

"Il faut aussi réfléchir à cet aspect. Si Alexis Sanchez avait raté son tir au but contre l’Argentine en finale de la Copa América, que serait-il arrivé ? On ne parlerait peut-être pas de Sampaoli. Pourtant, cela n’enlèverait rien au bon parcours réussi, mais c’est un avis que je ne partage pas avec tout le monde. Il faut arriver à comprendre comment on est arrivé au résultat au lieu de tout décrypter via le succès ou l’échec", défend-il avec conviction.

"Ceci est fondamental et c’est aussi ça qui les réunit", approfondit l’entraîneur âgé de 50 ans, préparant son raisonnement avec finesse avant d’asséner son idée-clé, à l’image d’une offensive menée par le Bayern, le Barça ou La Roja. "Il s’agit d’accroître le taux de probabilité de succès et non pas de jouer en espérant gagner. Il s’agit de réduire l’influence du hasard, autant que possible. En fin de compte, c’est cela que l’on cherche. Dans ce jeu, il faut trouver le chemin le plus court qui mène à la victoire. Si l’on regarde un peu le passé, on constate que ce sont toujours ceux qui jouaient le mieux qui ont gagné. Et ceux qui jouent le mieux, ce sont ceux qui cherchent toujours à s’imposer".

Jouer pour gagner… Ce sont les meilleurs qui gagnent... C’est un cruel dilemme que devra résoudre le jury à l’occasion du Gala FIFA Ballon d’Or pour déterminer le meilleur technicien de l’année 2015.