jeudi 03 décembre 2020, 12:42

Ellis parie sur l'entraînement au féminin

  • Jill Ellis a participé au premier Programme de mentorat des entraîneurs de la FIFA

  • Elle a lancé son propre programme pour soutenir les femmes entraîneurs aux États-Unis

  • "Quand on tire profit de quelque chose, d'autres doivent en bénéficier également", estime-t-elle

L'ancienne sélectionneuse des États-Unis, Jill Ellis, serait en droit de se reposer sur ses lauriers et sur son prestigieux palmarès. Au lieu de quoi, la double championne du monde s'est fixé une nouvelle mission. Le mois dernier, la Fédération américaine de football (U.S. Soccer) a fait part du lancement du Programme de mentorat SheChampions et du Fonds de bourses Jill Ellis.

L'idée a germé à l'automne 2018. Ellis participait alors au premier Programme de mentorat des entraîneurs de la FIFA organisé au siège de la FIFA, à Zurich. "Cette expérience m'a fait réfléchir. On parle beaucoup d'aider les femmes entraîneurs et des pierres d'achoppement rencontrées, que ce soit en termes de nombre, de ratio ou d'abandon. Mais quels moyens d'action concrets et efficaces mettre en œuvre ? Il ne s'agit pas nécessairement de résoudre tous les problèmes, mais d'améliorer la situation", explique-t-elle à FIFA.com.

Après la création du Fonds de bourses, Ellis et son équipe se sont entretenues avec 4 000 femmes entraîneurs aux États-Unis afin de comprendre les multiples barrières auxquelles elles se heurtent et d'avoir une vue d'ensemble de leur situation. Deux facteurs sont ressortis de cette enquête : le manque d'unité et de soutien, ainsi que, dans de nombreux cas, la présence d'obstacles financiers et personnels. "Les femmes doivent payer le diplôme d'entraîneur de leur poche, ce qui s'ajoute parfois à des frais de garde d'enfants ou autres, d'où des freins financiers potentiels. Personnellement, j'ai emprunté de l'argent à mes parents pour passer mes premières licences. Pourquoi ne pas mettre en lumière les femmes entraîneurs pour donner plus de visibilité à cette profession ? Pour aspirer à exercer un métier, encore faut-il voir des personnes le pratiquer."

La bourse créée avec U.S. Soccer porte sur le volet financier et prend en charge 50 % des coûts du diplôme. Pour Ellis, il était toutefois plus important encore de bâtir une communauté de femmes entraîneurs dans le pays. "C'est là que je me suis appuyée sur le programme de mentorat de la FIFA, qui est l'une des expériences les plus enrichissantes que j'ai connues. J'ai particulièrement apprécié le sérieux avec lequel la FIFA traitait ce sujet", soutient-elle.

Un filet de sécurité

Le programme de mentorat de U.S. Soccer est dirigé par l'instructrice d'entraîneurs de la fédération Karla Thompson. Celle-ci a choisi comme premiers mentors les 40 techniciens et techniciennes les plus actifs dans la défense et le développement du football féminin aux États-Unis, dont Ellis, Laura Harvey, la sélectionneuse des U-20 américaines, et Anson Dorrance, de l'université de Caroline du Nord (UNC).

"Le mentorat est extrêmement important", souligne Thompson au micro de FIFA.com. "J'ai passé les six ou sept dernières années à chercher un moyen d'augmenter le nombre de femmes entraîneurs. C'est crucial quand on travaille dans un univers masculin, surtout concernant les rôles dirigeants. Lorsqu'un entraîneur officiant dans l'élite ou à un poste de responsabilité est remplacé en raison d'un manque de réussite, il rebondit dans une fonction similaire, voire de plus haut niveau, grâce au réseau de solidarité dont il bénéficie. Les femmes n'ont pas cette chance. En cas d'échec, on ne les revoit plus, car elles ne disposent pas du même filet de sécurité."

Ellis et Thompson n'ont pas eu beaucoup de mentors féminins sur lesquels s'appuyer à leurs débuts. "Tous mes mentors étaient des hommes", poursuit Thompson. "Heureusement, certains m'ont soutenue à différents égards. Ils m'ont aidée en me poussant à sortir de ma zone de confort pour aller de l'avant. Mais je n'avais personne à qui m'identifier et demander conseil."

Thompson espère que cette initiative fera connaître les femmes qui ont fait œuvre de pionnières et qu'elles deviendront des sources d'inspiration pour la prochaine génération. "Il ne s'agit pas de mettre en avant unetelle ou une autre et d'énumérer leurs victoires, mais de donner aux femmes entraîneurs la possibilité de réussir avec le soutien d'alliées. Il existe une forte entraide féminine. Le deuxième objectif est de créer une communauté au sein de laquelle les femmes se sentent en confiance et ne soient pas la seule présence féminine en réunion ou en visioconférence. Nous voulons accroître le nombre de femmes entraîneurs dans les universités, ainsi que dans les clubs amateurs et professionnels."

Diversité de pensée

Lorsqu'Ellis a suivi le programme de la FIFA, elle a pris conscience de la nécessité du mentorat dans tous les domaines de la vie. "On apprend beaucoup en faisant son propre chemin, mais il est essentiel de pouvoir s'adresser à quelqu'un quand on a besoin de conseils et d'échanger des idées. Il est préférable de ne pas faire preuve de faiblesse devant son staff, parce qu'il compte sur vous. Moi, on peut me passer un coup de fil et me parler en toute franchise sans crainte d'être jugé."

Son mandat à la tête de la sélection féminine américaine a convaincu Ellis qu'il était important de servir de modèle et d'utiliser sa position pour changer les choses. "Il faut des femmes entraîneurs à des postes en vue et de haut niveau, mais aussi dans les catégories jeunes, où elles pourront engranger de l'expérience. Nous devons explorer tous les domaines et moyens d'action pour savoir comment obtenir des résultats", commente Ellis, qui estime également que les différences sont un atout. "Chacun voit les choses en fonction de son vécu. Il est beaucoup plus enrichissant d'avoir des dirigeants dont les perspectives et les vues diffèrent. Une plus ample diversité aux postes de responsabilité nous fera grandir."

Arrivée au terme de sa carrière de sélectionneuse des Stars and Stripes, Ellis a pris le temps de réfléchir. "J'ai vécu une aventure extraordinaire, et je souhaitais que d'autres aient la possibilité d'en faire autant. J'ai été la première de ma famille à aller à l'université et j'ai voulu donner cette chance à ma fille. Quand on tire profit de quelque chose, d'autres doivent en bénéficier également. J'ai repensé aux obstacles que j'avais rencontrés sur mon chemin. 25 ans plus tard, ils sont toujours là. Que pouvons-nous faire pour faciliter le parcours des entraîneurs et ouvrir ce métier à un plus grand nombre de femmes ?", s'interroge-t-elle, estimant sans doute que le Fonds de bourses portant son nom et le programme de mentorat SheChampions répondent à sa question.