mardi 04 août 2020, 09:15

Clichy : "Guardiola a changé ma façon de voir le football

  • Gaël Clichy parle à FIFA.com de son titre avec l’Istanbul Basaksehir

  • Patrick Vieira, une source d’inspiration pour lui

  • Clichy évoque Arsène Wenger, Pep Guardiola et ses projets de reconversion

Tout le monde se souvient des "Invincibles", cette équipe d’Arsenal restée invaincue sur l’ensemble de la saison 2003/04 de Premier League. Ce que l’histoire a peut-être moins retenu, c’est l’impact des jeunes joueurs de l’effectif des Gunners.

Parmi eux, Gaël Clichy. Du haut de ses 18 ans et dix mois, le natif de Toulouse a fait 12 apparitions en Premier League cette saison-là au poste d’arrière gauche, où il palliait la blessure d’Ashley Cole. Il est devenu le plus jeune joueur à remporter la Premier League, un record depuis battu par le Citizen Phil Foden.

Clichy ne s’est pas arrêté en si bon chemin, ajoutant deux autres Premier Leagues à son palmarès avec Manchester City et, dernièrement, un premier championnat de Turquie avec l’Istanbul Basaksehir. Une bonne raison pour FIFA.com d’interroger le Français sur la signification de ce dernier sacre, sur l’influence des "Invincibles" et sur ses projets de reconversion.

Gaël, on imagine que ce titre dans le championnat de Turquie cette saison avec Basaksehir constitue un temps fort dans votre carrière. Il s’agit d’un moment historique pour le club et pour l’histoire du championnat de Turquie. Comment avez-vous vécu l’histoire de l’intérieur ?

Naturellement, on ne peut pas comparer cette expérience avec ce que j’ai pu vivre avec Arsenal ou City, car la Premier League reste la Premier League. Ce championnat est considéré comme l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur, du monde. Cela dit, au niveau personnel, ça fait vraiment plaisir. Le club n’existe que depuis quelques années. Depuis 1959, seulement cinq clubs ont remporté le championnat de Turquie. On entend parler de championnats qui sont dominés par quelques clubs. En Turquie, c’est vraiment le cas. Pour nous, ç’a été extraordinaire d’aller au bout et de remporter le titre. C’est un signal fort car le club veut progresser d’année en année. Je suis ici depuis trois ans. La première année, on a terminé troisièmes à la différence de buts et l’an dernier, on a failli remporter le titre mais on a fini deuxièmes. C’était donc naturel de monter sur la première marche cette année.

Qu’est-ce que cela représente de rompre l’hégémonie des trois "gros" (Galatasaray, Fenerbahce et Besiktas) en remportant le premier championnat de l’histoire du club ?

Je crois que les gens n’ont pas réalisé. La Turquie ressemble à l’Angleterre, en ce sens que quand les gens soutiennent une équipe, ils la soutiennent jusqu’au bout. Bien que le club n’ait pas une immense communauté de supporters, je crois que les joueurs voulaient venir ici car le club obtenait des résultats. Mais jamais ils n’ont imaginé gagner le titre. Et tout d’un coup, on voit arriver des joueurs ayant disputé la Ligue des champions et qui sont internationaux. Ç’a été une grosse source de motivation pour tout le monde. Je suis venu ici car Emmanuel Adebayor jouait ici, à l’époque. Peut-être que je n’aurais pas fait ce choix s’il n’avait pas été là. Nous avons gagné sans lui cette saison, mais sans sa présence à l’époque, peut-être que beaucoup d’entre nous ne seraient pas là aujourd’hui et peut-être que le club n’aurait pas ces résultats. Chaque étape franchie par le club est importante et il faut mesurer la portée de cet accomplissement. Mais combien de fois a-t-on vu une équipe gagner le titre et s’effondrer l’année suivante ? Ce sera intéressant de voir comment le club gère ça.

Quelles sont les autres raisons qui vous ont poussé à choisir Basaksehir plutôt qu’un des autres clubs au statut plus établi en Turquie ?

Quand j’ai gagné le titre avec Arsenal, je suis devenu le plus jeune joueur à remporter la Premier League à l’époque. Je suis entré dans l’histoire. Puis je suis allé à Manchester City, où j’ai participé à la conquête du premier titre du club en 44 ans. Donc quand je suis arrivé ici, je n’avais qu’une seule chose en tête : écrire l’histoire avec Basaksehir. Je me souviens que quand j’ai signé, on entendait dire : "Pourquoi il n’a pas choisi Fenerbahce ou Galatasaray ?" Bien entendu, quand on est un compétiteur, c’est toujours génial de gagner un titre, peu importe avec quelle l’équipe. Mais je savais que je vivrais quelque chose d’encore plus fort en gagnant le championnat avec Basaksehir. Je préfère gagner un titre avec Basaksehir plutôt que trois avec Galatasaray, car cela a davantage de signification. C’est plus fort. Ça va entrer dans l’histoire et on ne sait pas si ça va se reproduire un jour. C’était mon objectif et au bout du compte, je sais en mon for intérieur ce que j’ai apporté.

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Pouvez-vous citer un ou deux changements culturels que vous avez apportés au club ?

Le premier, il est évident, c’est de tout donner sur le terrain. Si je suis le joueur que je suis aujourd’hui, c’est grâce à mon engagement envers tous les clubs dans lesquels j’ai joué et aux efforts que j’ai réalisés. Mon premier club pro a été Arsenal. À l’époque, les joueurs, c’était Patrick Vieira, Dennis Bergkamp, Thierry Henry, Sol Campbell, un effectif de dingue. Débarquer là à 17 ans, ça revient à entrer à l’université et ne pas savoir où donner de la tête au milieu d’une montagne de livres. J’avais une chose à faire : me concentrer pour apprendre en les regardant faire. Donc d’une certaine façon, je ne suis pas surpris par ce que je suis devenu aujourd’hui car j’ai été formé et construit par ces mecs-là.

À Arsenal, quand on avait match le samedi, dès le lundi, Patrick Vieira jouait dur à l’entraînement. En tant que jeune joueur, je me disais : "Sans parler de qualité, car tu ne seras jamais à son niveau, en termes d’engagement et d’éthique de travail, il n’y a pas moyen que tu ne fasses pas au moins autant que lui". Je savais qu’en abordant les choses de cette manière, j’aurais de bonnes chances de rester dans le football pendant de nombreuses années. C’est ce que j’ai essayé d’expliquer aux gars. Il m’est souvent arrivé de me prendre la tête avec des joueurs ici. Je ne suis pas là pour me faire des amis. Bien sûr, je m’en fais, et c’est génial, mais je suis là car le président m’a fait venir pour gagner. Et pour gagner, il faut que tout le monde tire dans le même sens et bosse dur.

Que pouvez-vous dire de la Super Lig à ceux qui ne la connaissent pas trop ? Quelles sont les principales qualités qui ressortent selon vous ?

Quand on est arrivés, j’ai dit à ma femme : "À Istanbul, ça va être cool". Honnêtement, je pensais que ça allait être facile. Le premier mois s’est bien passé. Tu es sur l’adrénaline qu’apporte le fait de vivre une nouvelle expérience. Mais au bout d’un mois, je me suis rendu compte que je n’étais pas bon du tout. Je me souviens d’un match à la maison où je me suis fait manger par un jeune joueur sur le flanc droit. J’ai dit à ma femme : "Ça suffit". J’ai dû contacter un préparateur physique personnel et j’ai fait des séances supplémentaires chez moi. J’ai fait ça la première année et petit à petit, j’ai progressé et j’ai retrouvé mon niveau. Peut-être que le niveau ici est plus bas qu’en Angleterre, mais il y des talents extraordinaires en Turquie. Et puis le jeu est ouvert. En tant que défenseur, tu peux te retrouver à gérer des situations de cinq contre trois. C’est pour ça qu’il y a beaucoup de cartons rouges et de cartons jeunes dans tous les derbys. Les gars jouent comme ils vivent, à savoir avec leur cœur. C’est la beauté du football turc.

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Avez-vous pour projet de rester dans ce club afin de pérenniser ce succès ? Comment voyez-vous l’avenir ?

Pour ma dernière année à City, c’était Pep Guardiola l’entraîneur et il a changé ma façon de voir le football. J’ai la volonté de devenir entraîneur, j’ai la passion pour ce métier. Je ne sais pas si je serai bon ou mauvais dans ce rôle, mais je sais que je vais m’y essayer. Ce sera dans quelques années car je crois que j’ai encore deux ou trois belles années dans les jambes et je veux en profiter au maximum. Le football est un sport étrange, et il l’est encore plus en Turquie. On ne sait jamais ce qu’il nous réserve. Je suis pratiquement sûr que le club souhaite que je reste. Ça fait plaisir. Mais je dois aussi tout étudier. Qui arrive et qui part ? Entre le titre de cette saison et la participation à la Ligue des champions l’année prochaine, ce n’est pas la même chose. Si le club n’est pas prêt, s’il ne fait pas les recrutements nécessaires pour compléter l’équipe, la saison pourrait se révéler très difficile. Je l’ai vu avec Leicester City, quand ils ont gagné le titre. L’année suivante, ils jouaient la Ligue des champions mais ils ont eu du mal à se maintenir en Premier League.

C’est super. Il faut savourer à fond maintenant car c’est un accomplissement extraordinaire. Dans un futur pas forcément proche, j’ai envie de devenir entraîneur. J’ai commencé à travailler avec des jeunes depuis mon arrivée à Basaksehir. J’apprécie cette interaction avec les joueurs et j’ai envie d’aborder le football sous un autre angle. Être entraîneur ou manager, ça n’a rien à voir avec être joueur. Je vais tenter ma chance.

Vous avez dit que l’approche de Guardiola avait été une grande révélation pour vous. Pourquoi et en quoi vous a-t-il montré une facette différente du football ?

Avec lui, tout est dans le détail. On me demande souvent qui est le meilleur entre Wenger et Pep. Pour moi, ce n’est pas vraiment la bonne question à poser. Les deux ont obtenu des résultats. Certains joueurs vont apprécier le style de Wenger et d’autres celui de Pep. En tout cas, j’ai pu me rendre compte qu’il ne fait pas de cadeaux. Il a ses idées. Les joueurs qui ont le bon profil pour les appliquer sont utilisés, mais ceux dont le profil ne colle pas à ses idées et sa philosophie ne sont pas conservés. D’un côté, tu as un entraîneur comme Wenger, qui te dit de jouer avec tes qualités, avec ton cœur, de t’exprimer en toute liberté. Il a construit des joueurs et il a obtenu des résultats. De l’autre, tu as quelqu’un qui te dit exactement ce que tu as à faire. En général, il prévoit une approche pour chaque match et il faut entrer dans le cadre. Si ce n’est pas le cas, tu ne fais pas partie de ses plans. C’est dur, mais d’une certaine manière, tu ne peux pas vraiment remettre son boulot en question car c’est peut-être l’entraîneur qui a le plus gagné au cours des six ou sept dernières années. Avec lui, le discours, c’est : "On va faire ça et ça va marcher". Tu te prépares toute la semaine en fonction de la stratégie qui va être adoptée contre le prochain adversaire. Tout ce qu’il dit pendant la semaine va se produire sur le terrain. Il était vraiment à part. Il suffit de voir l’énergie qu’il mettait dans ses discours et ses séances. Et puis il est super bien entouré, il ne travaille pas tout seul. Tout est parfait. Sa façon de travailler donne envie, non pas de l’imiter, mais d’essayer d’être un entraîneur aussi impliqué que lui.

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